Dans la serpiente.

Carlota Sandoval Lizarralde


44 rue de Sévigné - Paris, 3ème
Du 4 septembre au 5 octobre 2024

« Dans la serpiente » est la première exposition personnelle de  Carlota Sandoval Lizarralde   présentée à la galerie Fahmy Malinovsky du 4 septembre au 5 octobre. Elle propose une installation inédite de dessins au pastel à l'huile sur pièces textiles en dialogue avec sa série sur papier déchiré La frontera, réalisée lors de sa résidence au château Lacoste en 2022. Une série inspirée du livre fondateur Borderlands / La frontera de Gloria Anzaldua, éminente écrivaine et militante chicana qui a élaboré une conception politique, esthétique et ontologique des vies retenues "à la frontière".

Les œuvres de Carlota Sandoval Lizarralde sont conçues comme des portails de communication entre les places que nous tentons d’habiter simultanément. Prenant la forme d’installations, de dessins au pastel à l’huile, de poèmes, d’objets collectés et de performances, ses recherches s’ancrent dans son récit personnel de migration. Elles formulent une pensée de la frontière comme lieu fertile de germination et de contamination. Un espace d’affranchissement, d’oscillation, qui permet de se penser en plusieurs endroits, en plusieurs langues, de se maintenir sur le seuil. L’artiste nous invite à nous arrêter dans ces interstices pour les rendre habitables. Elle parvient à reconstituer la protection de l’espace intime et domestique sur ces fines frontières mouvantes. 

«Née en 1996 à Bath (UK), Carlota Sandoval Lizarralde est diplômée de l’ENSA de la Villa Arson (2021).

Elle vit et travaille à Paris.

Elle a été en résidence en 2022 au Château Lacoste et à la Villa Belleville, au Consulat Voltaire et à La Folie Barbizon en 2023, puis en 2024 à la Cité Internationale des Arts (Montmartre). Elle entre à la rentrée 2024 en résidence à Artagon (Pantin). Elle a reçu le Prix Pierre Cardin en 2021 et a été sélectionnée pour intégrer le programme de mentorat Passerelles de l'association Contemporaines en 2022. Son travail a été présentée en France dans le cadre d'expositions collectives, notamment au Centre d'Art de la Villa Arson, à Poush et chez Julio artist-run space.  Elle bénéficiera d’une exposition personnelle au Frac île-de-France au printemps 2025.

© Série Portales (Portails), 2024, pastel à l’huile sur tissu en coton (détail). Carlota Sandoval Lizzaralde 

© Daniela Ometto, photographies

Texte de Chirine Hammouch, critique d’art

Vers le centre de la pièce, placée légèrement de biais, il y a une porte. Une porte qui ne s’ouvre pas. Une porte blanche surmontée de chapelets bleus, roses, jaunes. Au dos, une iconographie à l’effigie de Saint Antoine de Padoue, un homme juvénile, vêtu d’une bure franciscaine nouée à la taille, et qui tient entre ses bras un chérubin. Saint protecteur du foyer, il est un message d’accueil pour tous ceux qui sont en quête d’un espace domestique. Sans murs de part et d’autre, cette porte que l’on toise d’un regard interrogateur, ne peut être franchie et fait figure d’obstacle. Elle impose par sa présence une suspension du mouvement. Le corps s’arrête. C’est ces réflexions sur les franchissements, les lieux de passage et la quête d'un lieu à soi qui habitent Carlota Sandoval Lizarralde. 

Les œuvres suspendues traversent de part en part l’espace de la galerie qui s'illumine de leurs formes colorées. Des fils se répandent jusqu’au sol. Leur contact avec les visiteurs est accidentel et marque d’une caresse sur l’épaule ou l’avant-bras la traversée des murs de tissus obliques et horizontaux. On note leur présence, en filigrane, dans la matérialité même de l'œuvre. Par endroits, on peut suivre leur tracé sinueux, leur ligne ondoyante à la manière d’un serpent, écho saisissant au titre de l’accrochage, Dans la serpiente.

Dans ses dessins sur tissus, la plasticienne colombienne, qui réside aujourd’hui en France, réalise un travail autour de la portée symbolique des frontières, de la question de la place pour les migrants. Habitée par les écrits de la poétesse et militante chicana Gloria Anzaldúa, l’artiste se dit composée d’un entrelacs d’influences qui nourrissent continuellement sa pensée. On décèle, ici et là, l’imprégnation de l’esthétique kitsch des icônes populaires à la gloire de la Vierge et la persistance d’une spiritualité héritée de son milieu familial. Portée par les récits collectifs qui lui ont été narrés, Carlota Sandoval Lizarralde offre, à travers une conception de l’espace qui lui est propre, une approche politique et esthétique de la frontière.

Sur le plan plastique, les formes découpées dans la couleur renvoient à la poésie du langage visuel du monde de l’enfance. On pense, devant ces aplats de rose, de bleu et de vert, à l’Américain Henry Darger. Mais c’est aux plasticiennes australienne et américaine Sally Gabori et Helen Frankenthaler que l’artiste se réfère. Inspirés de l’univers végétal, dénués de narration, les dessins se situent à mi-chemin entre figuration et abstraction. C’est à même le sol, dans l’intimité de son atelier de la Cité internationale des arts de Montmartre, le corps tendu vers la surface plane de la toile, pour être au plus près de la nature par ce contact avec la terre, que Carlota Sandoval Lizarralde leur a donné vie. Comme des tesselles d’une mosaïque, de grands formats ont été divisés en morceaux épars qui, présentés conjointement, donnent à voir une variété possible de dessins qui se répondent et se prolongent dans un vocabulaire uniforme mais mouvant et en perpétuelle mutation. La technique employée - du pastel à l’huile - permet d’obtenir un résultat au fini gras, transitoire en ce sens qu’il migre dès lors qu’il y a contact avec la peau ou du papier. Comme le prolongement des réflexions sur la porosité de ceux qui se déplacent et se retrouvent dans deux espaces distincts avec pour seul dénominateur commun leur présence en ces deux lieux. 

Quel bel hommage donc que cet accrochage vibrant de couleurs et de générosité. Hommage à tous ceux échoués au pied d’une frontière, violentés pour n’être que différents. Différents par cette altérité de nationalités, de langues et de cultures que l’on ne parvient pas à dépasser par paresse ou simplement par bêtise. Une exposition qui, définitivement, ancre l’engagement bienvenu et salutaire de la galerie Fahmy Malinovsky.