Eux dansent dans le feu

Darius Dolatyari Dolatdoust


44 rue de Sévigné, Paris 3ème
29 juin - 31 juillet 2024

« Eux dansent dans le feu » est la première exposition personnelle de Darius Dolatyari-Dolatdoust à la Galerie Fahmy Malinovsky, réunissant l’inventaire des pièces textiles et céramiques créées pendant sa résidence à la Fondation Fiminco, qui composent le décor de la vidéo "Red room", en co-création avec l’artiste Sarah-Anaïs Desbenoit.

Le décor de la chambre est le personnage principal. Ses couleurs évoquent le matador et ses atours colorés : le rouge de sa muleta (cape), le rose de ses medias (chaussettes) et le noir de sa montera (toque). L’ensemble met en scène une forme exacerbée de la masculinité, fantasmée et fétichisée.

L’artiste nous propose plusieurs degrés de réalité et le public confronté au décor doit accepter de rejouer l’illusion. Est-ce que les visiteur·euses déambulent dans les coulisses ou sont-iels une scène de plus ? Aux spectateur·rices de reconstituer les scènes et chorégraphies possibles avec les œuvres présentées. Darius Dolatyari-Dolatdoust réfléchit à la façon dont un vêtement et une scénographie sont déjà une proposition de danse, par la manière dont ils contraignent ou accompagnent nos corps. Les costumes sont suspendus, on pense pouvoir se reposer, boire et ainsi répéter le cérémonial de nos transformations quotidiennes. La scénographie de cet intérieur est le sujet essentiel. L’artiste apporte une préciosité aux objets de l’ordinaire. Dans cette pièce, rien d’important ne se passe, rien de notable n’est évoqué. Le spectacle des choses et de la matière, riche, muette, loin d’être anodin, est une jubilation permanente. Le moi est absent, et si quelqu’un entre, il ne sera qu’un événement parmi d’autres.

Alignés comme dans une salle de musée, les objets réunis nous opposent l’intrigue silencieuse d’un catalogue vierge et inconnaissable. Ils aiguisent une énigme des origines. L’accumulation de ces objets presse la question du manque ; celle qui hante aussi l’histoire des collections et des arts. Une couverture de lit sans lit, un vêtement sans silhouette, un mobilier sans appartement, l’absence prend de la place. A qui appartiennent ces objets laissés sur le banc de la nuit ? D’où viennent-ils ? De quelle existence sont-ils les preuves ? Parfois l’intime ne laisse pas d’archive et les anonymes de l’Histoire sont effacés. Comment inventer une représentation à l’endroit du manque ?

L’exposition montre une variation des questionnements de l’artiste qui tissent ensemble identités et fictions. Empêché de se rendre dans le pays de son père, mais entouré d’images et documents d’archives familiaux, d’enregistrements audios - il invente son musée-maison. Il fabrique sa propre collection de costumes traditionnels et d’objets décoratifs. Il crée une histoire et déplace reliques et fétiches d’une fiction à une autre. Il s’empare d’objets inventés, le reliant à un pays interdit, pour mieux faire et défaire les parures des identités que l’on revêt. Nos identités sont d’infinissables métamorphoses, un vestiaire.

“La rencontre”

Chirine Hammouch, critique d’art

Texte pour la Galerie Fahmy Malinovsky

25 juillet 2024


C’est un aplat de rouge dans lequel deux protagonistes s’étreignent ou se débattent. S’il est question d’un acte charnel, on ignore le consentement du personnage frêle qu’étreint un taureau à la carrure monstrueuse. La bête a les yeux écarquillés. Son regard dévore sa proie tout en fixant le spectateur, témoin de la scène qui se donne à voir dans un voyeurisme à peine voilé. L’autre a les yeux clos par le sommeil. Assiste-t-on à un acte de violence ? À première vue, le geste de l’homme, créé par le mouvement du bras gauche, tendu, peut s’apparenter à un réflexe de défense, mais les jambes semblent épouser les contours de la créature, s’accrocher à son bassin et céder à cette danse des corps. Le dos du buffle reprend la forme arrondie du cercle et crée un élan dans cette rondeur érotique, lancinante. On entend le rugissement, on sent le souffle chaud sur la nuque. Darius Dolatyari-Dolatdoust est catégorique, il s’agit d’un entrelacement amoureux même s’il souhaite cultiver ce trouble. Ambiguïté que l’on retrouve dans The fight of love, broderie matelassée réalisée en 2019.

“Le visage de Picasso se transforma en un museau noir et poilu, le groin du Minotaure, ses mains devinrent des pattes hérissées et velues [...] Le Minotaure rugissait. Dora haletait et buvait, silencieuse, les larmes abondantes qui roulaient sur ses joues”. Cette description est extraite du roman que l’écrivaine Zoé Valdès dédia à Dora Maar en 2015. Plus loin, cette phrase, éloquente quant à la brutalité des ébats imposée par Picasso en présence de Nusch et Éluard : “Le Minotaure fonçait avec une force démesurée et tellurique contre ce beau corps onduleux et mat. Dora émit des sons étranges du fond du gosier, comme des mugissements, sans détourner les yeux de ceux de l’homme. Le Minotaure avait une respiration de plus en plus hachée, comme s’il courait éperdument dans les bois”. C’est à cela que l’on songe lorsqu’on se tient devant La Rencontre, tapis en feutre de laine, à Picasso, à sa sauvagerie sexuelle et misogyne. Mais Darius Dolatyari-Dolatdoust réemploie la figure du minotaure pour la détourner de sa violence originelle. Il n’est nullement question ici d’un rapport de domination entre un homme et une femme mais d’un instant de tendresse entre deux hommes. Par cette proposition plastique, s’opère une réinvention du motif iconographique. Un geste qui s’inscrit dans le long cours de l’histoire de l’art - on pense au tableau de George Frederic Watts de 1885 et à celui du peintre espagnol, Dora et le Minotaure, exécuté en 1936 - tout en proposant une approche contemporaine, nourrie des enjeux sociétaux de notre époque.


Hérité des palais achéménides de la Perse antique dont il ornait le chapiteau des colonnes, le taureau est pour l’artiste un double et un allié qui incarne tout à la fois puissance et sagesse. Il est présent dans plusieurs autres œuvres de l’exposition. Le dossier d’une chaise reprend la forme des cornes. Un rideau en patchwork contient, lui, en ses pans, l’ombre de sa silhouette. Un costume donne à la figure du taureau un visage, un regard interrogateur et une bouche entrouverte. Dans un couvre-lit en quilt de satin, la bête s’humanise et se fait homme. Sauvage et domestiqué, le taureau porte en lui le désir qui se consume. Un feu qui flamboie par ce rouge, symbole de vie mais aussi de mort qui évoque le sang de l’animal dont l’issue tragique est irrémédiablement causée par le matador ou par Thésée si l’on se réfère à la mythologie grecque. Mais pour l’artiste, il est avant tout la couleur du goût des cerises. Et celui des trébuchements poétiques d’une rencontre.

Ressources :

● Zoé Valdès, La Femme qui pleure, 2015, Paris, Arthaud, pp. 218-219

https://www.arthaud.fr/la-femme-qui-pleure/9782081309951

● Slavenka Draukulić, Dora Maar et le Minotaure, Paris, Charleston, 2021, 208 pages https://editionscharleston.fr/products/slavenka-drakulic-dora-maar-et-le-minotaure-grand-format

● Brigitte Benkemoun, Je suis le carnet de Dora Maar, Paris, Stock, 2019, 336 pages

https://www.editions-stock.fr/livre/je-suis-le-carnet-de-dora-maar-9782234083608/

● Picasso, l’œil du Minotaure, France Culture, “Les Grandes Traversées”, 2012 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-picasso-l-oeil-du-minotaure

● Ariane et le Minotaure, France Inter, “Quand les Dieux rôdaient sur la Terre”, 2023

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/quand-les-dieux- rodaient-sur-la-terre/quand-les-dieux-rodaient-sur-la-terre-du-samedi-08-avril-2023-6333003

Photographies © : Alexandre Costes et Darius Dolatyari-Dolatdoust