Tu veux devenir données pures, données crues.
Diane Cescutti
44 rue de Sévigné - Paris, 3ème
Du 19 octobre au 19 novembre 2024
Glassweave, 2021, verre, satin, mousse, nylon.
Diane Cescutti fait le lien entre trame textile et langage informatique ; le métier à tisser étant historiquement à l’origine du code binaire. L’exposition qui lui est consacrée présente l’exploration plurielle de l’artiste : tissages, vidéos et sculpture. Au croisement de l’artisanat et de l’ingénierie, l’artiste conçoit les calculs mathématiques et assure l’exécution physique de ses pièces. Diane Cescutti plonge dans la technicité des machines qu’elle utilise, qu’il s’agisse d’une pratique ancestrale ou de procédures informatiques. Elle décortique pièce à pièce, fil à fil, les mystères de la machine, à tisser ou numérique, s’y incorpore. Diane Cescutti développe en autodidacte une maîtrise avancée qui lui permet de concevoir et fabriquer elle-même ses œuvres textiles et numériques. Elle nourrit des échanges égalitaires avec les artisan·es qu’elle côtoie. Cette sociabilité entre travailleur·euses est centrale dans sa pratique artistique.
L’exposition présente des tissages virtuoses réalisés par l’artiste qui mélangent plusieurs techniques et ouvrent un dialogue matériel et plastique avec des techniques non-occidentales. Quoique réalisées sur de grands métiers de type “occidentaux”, les techniques apprises et exécutées par l’artiste rendent hommage à des traditions extraeuropéennes. Les matériaux organiques et synthétiques nouent ensemble une histoire des technologies de la télécommunication et une histoire partagée de savoirs traditionnels, plus humaine, plus universelle.
Née en 1998 à Chenôve, elle vit et travaille à Saint-Étienne.
Diane Cescutti est diplômée de L’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Nantes en 2021.
Elle est aussi passée par le département textile de L’Université des Arts de Tokyo et à l’Ecole d’Art de L’Université de Houston.
Diane Cescutti est sélectionnée par la Villa Albertine en 2022 pour une résidence de recherche prolongeant un premier projet vidéo initié en 2020 lors d’un échange universitaire entre Houston et Marfa au Texas. Elle y développe notamment des recherches sur l’histoire textile aérospatiale. Elle a été soutenue par une aide à la création de la DRAC Auvergne Rhône-Alpes en 2022 et précédemment par la bourse matière première Artagon.
Récompensée du prix 2023 Faku'Gesi awards pour l’art Digital, elle reçoit le Golden nica Interactive Art+ du prix Ars Electronica en 2024 pour son installation interactive “Nosukaay”.
© Daniela Ometto, photographies









Pour “Celebrate complexity” et “Foléré Data”, Diane Cescutti utilise une technique de colorations japonaises, ikat et kasuri, qui consiste à bander une partie des des fils avant de les teindre pour permettre des transitions colorées. Ses tissages par bandes dialoguent avec ceux que l’on peut trouver en Afrique de l’Ouest où de plus petits métiers permettent de réaliser des bandes étroites ensuite tissées ensemble, comme pour le pagne baoulé. Dans ses grands tissages, l’artiste mobilise également l’art du tressage et orne jusqu’aux franges. Elle mêle cheveux synthétiques, perles de bois et câbles électriques dans un grand ensemble ornemental de fibres et de fils. La diversité des ressources matérielles employées produit un langage esthétique complexe, combinatoire et séquentiel, que l'artiste perçoit comme de très fines architectures. Les fils tissés ensemble relient physiquement plan, structure, texture et temps.
Diane Cescutti ne s’intéresse pas uniquement au textile tissé mais aussi au code qu’il contient, à sa source. L'œuvre “Glassweave” est une forme de tissage non textile - l’artiste est parvenue à travailler le verre pour ne restituer que sa forme élémentaire. La pureté et la transparence de la trame sont présentées comme une relique, dans une matière renvoyant à nos interfaces numériques. Le verre permet de figer un mouvement souple malgré la matière durcie et réfléchissante. Obtenu en chauffant le sable, la cendre et la craie, le verre évoque ainsi d’autres espaces, notamment les déserts. Par glissement, cette expérimentation nous renvoie à l’exploration spatiale et son histoire textile sur laquelle l’artiste s’est aussi penchée. L’exploration interstellaire a été rendue possible par l’ingéniosité et la robustesse du textile souple, protection vitale de l’astronaute.
Une autre forme de tissage sans textile est expérimenté par l’artiste dans “A house of threads #1 et #2", où les textures sont conçues par l’artiste à partir d’algorithmes qu’elle met au point. Le titre fait référence au poème ”The house of dust” de Alison Knowles, un des premiers poèmes générés par un codage informatique. Le numérique peut renvoyer à l’instantanéité. Mais l’artiste parvient à étirer le temps. La création de son langage algorithmique nécessite une durée longue, contrairement à l’immédiateté qu’aurait permis l’utilisation d’une image ou d’un codage existant.
Diane Cescutti a débuté le projet “Worlding Marfa”, un projet toujours en cours initié juste avant le premier confinement, au cours d’un voyage de recherche au Texas. Elle y fait un lien entre le maillage des grandes étendues américaines et les déserts virtuels. Dans “Worlding Marfa (intro)” une première vidéo réalisée en 2020, l’artiste lie Active Worlds, un des plus anciens métavers, vestige d’une esthétique numérique datée, et Marfa, souvent décrite comme une petite ville fantôme située dans le désert de Chihuahua, haut lieu du modernisme américain. La fiction imaginée par Diane Cescutti établit un passage entre ces deux mondes. Le monde matériel se déverse dans le monde virtuel dans une forme de “quête de transsubstantiation”, de transformation surnaturelle de la substance.
Le travail vidéo de Diane Cescutti est affaire de présence : il est moins question d’images et d’objets que de connexions. La transportation d’un territoire à l’autre au travers d’un écran, d’une membrane, est un mouvement familier. Nous passons ces portes quotidiennement, seul ou en réseau. La sauvegarde de nos liens, nos mémoires et des imaginaires se fait sous la forme de répliques. Dans le temps, que conservent de nous et des créations humaines ces copies digitales ? Nous naviguons dans un monde de données numérisées, de bibliothèques, de collections et d’atlas consultables en ligne, nous donnant l’impression de conserver une version inaltérable. A l’heure de la domestication des ressources numériques, comment ces mondes s'incorporent-ils à nous, nos espaces intimes, et comment nous y retrouver physiquement ?
“Une partie du monde virtuel coule dans le monde réel et une partie du monde virtuel coule dans le monde réel. Et bien sûr c’est en train de se produire ?”*
*Texte extrait de la vidéo “Worlding Marfa (intro)” (2020), Diane Cescutti






