Rires sur le fleuve (les yeux inondés de larmes)
Hussein Nassereddine
44 rue de Sévigné - Paris, 3ème
Du 6 avril au 29 mai 2024
L’exposition présente la série emblématique des “papiers rivières”, auxquels les gestes de l’artiste ont donné l’aspect de l’eau. Support métaphorique permettant à l’artiste de manipuler la fragilité de nos histoires, de ce qui se transmet collectivement ou individuellement, un monument détruit, un grand amour perdu. Hussein Nassereddine a également exposé ce papier au soleil pendant plusieurs années. Dans une extension plus récente, il l’a apposé sur des objets pour garder trace de leur présence. Ces œuvres frôlant le genre photographique ne laissent qu’une marque nébuleuse. Mais la réplique conserve une force d’apparition et une puissance d’agir.
Le papier carbone, papier sonore et sensible aux moindres gestes, aux rayons de lumière, à l’eau, devient un nouveau territoire, sensible à toute trace de vie, donnant un lieu au froissé chaud du souvenir manqué. Dans sa performance Rires sur le fleuve (Les yeux inondés de larmes), Hussein Nassereddine fait entendre des récits historiques et personnels indémêlables. Ils s’entrecoupent, se traversent avec une fluidité qui, sans les confondre, souligne leurs mouvements communs.
L’artiste invente un dialogue avec les poèmes préislamiques, ceux des bédouins, d’abord transmis oralement puis retranscrits par des philologues du VIe siècle. La mission de ces érudits interroge la possibilité même de retrouver une version originale, alors que la source n’est qu’une respiration, depuis longtemps perdue. Dans l’espace vide laissés par ces vers perdus, on peut trouver un flot inarrêtable de mots. La musique arabe populaire s’y fraye aussi un chemin entre les lignes. Le chant passe comme un souffle et rappelle une oralité qui habite les poèmes de tous les siècles. Le chant vient toujours après.
La galerie accueille l’installation qui formera le décor de la performance de l’artiste, composée de papiers carbone bleus. Ce papier était traditionnellement un support de commentaires dans l’édition de poésies arabes, un lieu de dialogue avec les sources. L’original devient inséparable de ces écritures nouvelles, des ramifications qui l’ont porté jusqu’à nous. L’exposition présente également les premiers exemplaires d’un livre d’artiste dédié à la performance, conçu avec les éditions Studio Mitsu. Il tente d’en conserver les rythmes, les courants et les silences. L’ouvrage est pensé comme un processus continu. Sa matérialité doit lui permettre d’être manipulé, foulé, vécu, et donc d'expérimenter le processus de marquage cher à l’artiste, moyen de mémorisation dans le papier des événements même les plus infimes.
Hussein Nassereddine invoque l’idée que tout ce qui a été perdu persiste à nous apparaître. S’il ne nous reste ni ruines, ni lieu sacré, ni livres, il nous restera quelques marques de soleil sur la peau, des fleuves de larmes sur nos joues et des bribes de vers qui ont miraculeusement passé les siècles. L’artiste cherche à surmonter la difficulté de la perte en donnant une forme aux récits manquants, à l’absence de l’autre, pour leur trouver une place. Ses œuvres sont comme des cartes intimes, des propositions d’espaces créés à partir des problèmes physiques posés par l’absence. Un monde, un territoire n’est plus là et il faut le retrouver. L’artiste propose de faire une place à ces « disparitions » et de continuer la conversation.
Photographies : © Alexandre Costes






