Julie Navarro

Dans l’œuvre de Julie Navarro, le corps change d’échelle. Il est une interface  qui, comme le paysage, prend forme en relation avec les phénomènes qui l'entourent. Il est sensation, pouls, battement, flux, trajectoire, mémoire. Dans la série de broderie Droséra, la réverbération du chignon et la fibre-même du cheveu, sa masse, s’inspirent de la capillarité des tourbières limousines.                          

Chez Julie Navarro, les corps sont des paysages. La broderie La montagne dessine une ligne  de crête qui représente pour l’artiste cette veine palpitante qu’elle explore dans ses récents projets. La pointe de l’aiguille sur la surface étendue du linge suggère la possibilité d’une échappée symbolique, comme le mouvement répété d'un piolet piquant la paroi.

La broderie de Julie Navarro tient aussi une conversation avec l’écriture. Saynètes, figures et motifs, autant d’entrelacs que l’on retrouve dans la série Noué-noué, et qui prennent valeur de signes et de ponctuation. Le geste de la brodeuse et sa cadence nous ramènent à l’annonce d’une versification,  une dernière pulsion avant le déversement du langage.

Julie Navarro fixe sur le tissu quelque chose de cette impulsion physique qui précède toute écriture. Les lignes qu’elle brode mordent le linge comme un signal morse, une information lumineuse. Autrement que la trace du crayon sur le papier,  la perforation du fil dans le linge forme une brèche, un passage de lumière. Une morsure dans la broderie-chair qui permet d’explorer le geste comme commencement, comme étincelle.

La broderie est une chorégraphie en elle-même  et Julie Navarro la prolonge en dessinant les contours de corps dansants sur le linge qu’elle accompagne de son tambour de broderie. Julie Navarro ne fait ni point de chaînette ni point de croix, elle choisit toujours “le point de contact”.

Dans ses broderies comme dans ses bals-performances, Julie Navarro tire un fil entre les générations. Elle relativise ici, sur de fluets carreaux de mouchoirs la densité de la transmission familiale, des identités et des places à tenir. Le fil dévoile, dévie, déroule, décuple, cette ironie rieuse qui nous rappelle à une furtive mais étincelante pulsion de vie.